SÉPULTURES D’ÉPOQUE ROMAINE DÉCOUVERTES SOUS LA GARE ROUTIÈRE DE CHERCHELL

En 1990, les travaux préparatoires à la construction de la nouvelle gare routière de Cherchell ont fait apparaître des vestiges funéraires antiques. Une fouille de sauvetage fut alors confiée à une équipe franco-algérienne qui intervint au cours de deux campagnes en 1992 (12-29 septembre) puis en 1993 (18 septembre-5 octobre). Cette fouille est malheureusement restée inachevée. Cette notice rend compte des résultats les plus significatifs.

Les sépultures mises au jour confirment des découvertes anciennes signalées dans cette zone qui correspond à la nécropole occidentale de Césarée de Maurétanie. Elles sont situées immédiatement au nord de la route nationale 11 qui relie Cherchell à Ténès. Cette zone funéraire, repérée en divers points à l’ouest du rempart romain, est traversée par deux oueds qui se déversent dans la Méditerranée (fig. 1). Les terrains antiques occupaient ainsi une zone vallonnée qui dominait la mer depuis une falaise d’une vingtaine de mètres de hauteur. La présence d’un pont romain, encore visible sur l’oued El-Kantara, démontre l’existence d’une voie antique dont le tracé correspond approximativement à la route moderne ; elle reliait Caesarea à Carthenna.

Plan de la zone de fouille dans la nécropole occidentale (fig. 1)

Sur une surface fouillée de 300 m², densément occupée, apparaissent six ensembles comprenant des mausolées et des enclos dont la disposition témoigne d’un réel souci d’organisation. L’espace dégagé montre une juxtaposition d’enclos d’emprise variable (35-50 m²), ainsi qu’un mausolée (A), immédiatement à l’ouest, qui paraît isolé.

Vue d'ensemble du mausolée A

Vue d’ensemble du Mausolée A (fig. 2)

Dans le secteur A, un mausolée quadrangulaire d’une surface de 22 m² (cf. fig. 2), assez bien conservé, offre les caractéristiques architecturales suivantes : la première assise du mausolée présente sur trois côtés uniquement une moulure soignée qui sert ainsi de soubassement à des murs construits en briques. La chambre sépulcrale (6,5 m²), accessible par une porte ouverte au milieu du mur ouest, contenait quatre sarcophages monolithes en calcaire coquiller très mutilés. Témoin d’un pillage ancien, un des couvercles, retourné, occupait encore l’espace libre devant l’entrée. Les sarcophages ont été disposés parallèlement au mur nord ; cette disposition démontre que cet espace de circulation réduit fit l’objet d’une gestion raisonnée. Seul le sarcophage 1 paraît suffisamment grand pour accueillir un corps d’adulte, alors que les trois autres devaient être destinés à des enfants.
Le secteur B correspond à un enclos dont la moitié nord a reçu un mausolée, retrouvé très arasé (fig. 3). L’intérieur de la chambre sépulcrale présentait deux sarcophages très mutilés. La façade sud du mausolée était ouverte en son milieu par un escalier qui signale ainsi une nette déclivité entre la chambre sépulcrale et la partie antérieure de l’enclos ; la moitié sud de l’enclos comprend deux ensembles distincts disposés de part et d’autre de l’axe de l’escalier. L’un, à l’est, compte quatre sépultures (12, 15, 16 et 17) et deux tables d’offrandes ; l’autre, à l’ouest, une exèdre maçonnée (9).

Vue de l’ensemble B (fig. 3)

À l’est du mausolée se trouvent des sépultures et des tables d’offrandes de deux types : mensa et exèdre. Les fouilleurs supposent que la façade sud du mausolée s’effondra assez vite. En effet, dans la couche d’effondrement qui recouvre les sépultures 12 et 17 fut découvert un corps d’enfant inhumé en fosse qui se trouvait au contact de la maçonnerie de la mensa 15 dont la surface avait été surcreusée pour l’occasion. Cette inhumation semble associée à un lot de six monnaies du IVe siècle. Notons une situation singulière : la cupule 16 présente sur son côté sud une petite niche constituée de deux morceaux de tuiles posés en bâtière, profonde de 30 cm, qui protégeait une pierre pointue prise dans le mortier, tenant lieu de stèle.

Le secteur C n’a peut-être été dans un premier temps qu’un passage séparant le mausolée B de l’enclos D. Il aurait alors servi aux activités d’un potier, comme invite à le supposer la mise au jour d’un assemblage de dix dalles plates en terre cuite qui pourraient constituer le fond d’un bassin de décantation d’argile (18).

Les limites du secteur D n’ont pu être précisément reconnues, et l’occupation funéraire de cet espace est d’une compréhension difficile. Des incinérations en fosse dispersées dans l’enclos sont les plus anciens témoignages d’occupation. Ultérieurement, un petit mausolée voûté dont la chambre sépulcrale couvre à peine 3,5 m2, a été construit contre le mur sud de l’enclos. Sous le sol de la chambre, la fouille a fait apparaître une sépulture à incinération (105 – 4) dont l’emprise avait été soigneusement respectée par les ouvriers au moment de la construction du mausolée. Le mobilier et les rares monnaies exhumés permettent de dater la fréquentation de l’enclos du IIe siècle de notre ère. À l’ouest, se trouve un mausolée (D) qui était accessible par le côté sud. Une dizaine de sépultures, groupées autour du mausolée, montre une cohabitation rituelle entre incinérations et inhumations. À l’est, une citerne, située parallèlement au mausolée D, occupe la largeur supposée de l’enclos D. Sa présence en contexte funéraire pourrait s’expliquer par la nature des rites célébrés, mais l’on pourrait plus sûrement associer cet équipement à l’activité du potier démontrée par le bassin de décantation distant seulement de trois mètres.

Le secteur E juxtapose trois ensembles organisés au sein d’un enclos : au sud se trouve un espace ouvert occupé par plusieurs sépultures, alors que la moitié nord contient deux mausolées qui à l’origine peut-être n’en constituaient qu’un seul. Le mausolée E2 contient une tombe maçonnée dont la couverture pourrait correspondre à une dalle inscrite retrouvée déplacée au cours des premiers travaux de terrassement. Celle-ci aurait abrité Volusia Tertullina, grammatica de son état. En effet, cette remarquable épitaphe est gravée sur une dalle dont les dimensions correspondent à une couverture de sarcophage (L. 1,44 ; l. 0,63 ; ép. 0,28-0,30 m) : D(iis) M(anibus) s(acrum). / Volusiae Tertullinae maritae castae et incomparabili grammat(icae), / quae uix(it) an(nos) XLIII m(enses) III die(s) V, quae cum / marito fecit an(nos) XX m(ensem) I / dies XIII / Domit(ius) Flauianus incompa(rabili) […]. « Consacré aux Dieux Mânes. À Volusia Tertullina, épouse chaste et incomparable grammatica [ou : épouse chaste et incomparable, grammatica ?] qui vécut quarante-trois ans, trois mois, cinq jours, qui passa, avec son mari, vingt ans, un mois, quatorze jours, Domitius Flauianus, à son incomparable (épouse ?)… » (trad. Sandrine Agusta-Boularot et Mohamed Bousbaa). La famille Volusia était déjà connue à Caesarea. L’intérêt de cette inscription réside notamment dans le qualificatif de la défunte : grammat. L’on ne sait en effet si Tertullina était « érudite », « lettrée » ou « grammairienne », c’est-à-dire enseignante, ce qui serait exceptionnel pour une femme. Cette hypothèse n’est cependant pas à écarter car un de ses parents, connu par une découverte épigraphique ancienne, est dit grammaticus. Il pourrait donc s’agir d’une tradition familiale.

Bien que la fouille du secteur F ait été incomplète, elle a permis de reconnaître un mausolée contenant trois sarcophages et un espace ouvert qui présentent des caractères similaires aux autres secteurs de la nécropole (B-E).

Les premières traces d’occupation de cette nécropole sont des incinérations de la fin du Iers. ou du début du IIes. de notre ère et c’est au cours de ce siècle que la fréquentation fut la plus intense ; la fonction funéraire semble cependant s’être ponctuellement poursuivie jusqu’au Ve siècle. Les types de sépultures trouvées dans cet espace funéraire ne diffèrent pas de ceux qui avaient été auparavant rencontrés à Cherchell pour la période romaine. La fouille a permis de démontrer l’existence contemporaine des deux pratiques funéraires, crémation et inhumation, au cours du IIe s. La fouille de l’area du secteur D a fourni des renseignements précieux sur l’organisation de la structure de crémation : le corps était placé sur un bûcher aménagé dans une fosse peu profonde. Après la crémation, l’amas de cendres était protégé par une bâtière de tuiles ou de dalles de calcaire et éventuellement scellé par une construction maçonnée en forme de cupule. Pour protéger les corps inhumés, les fossoyeurs ont adopté des solutions variées en les abritant sous des tuiles disposées en bâtière, dans un coffre de tuiles ou une cuve en calcaire. L’aspect de la sépulture était varié (simple fosse, surface maçonnée, cupule, sarcophage monolithe en pierre) et dépendait d’abord du cadre protecteur retenu : espace ouvert, enclos, ou mausolée. Notons que les sépultures de la gare routière ne sont pas équipées de conduit à libation. Toutefois, la libation rituelle pouvait tout aussi bien être faite près de la tombe, et dans l’enclos B sur les petites mensae maçonnées.

Synthèse réalisée par les étudiants du Master 1 Histoire, civilisation patrimoine. Parcours 1, mondes anciens et médiévaux d’après Ph. LEVEAU 1999, « Fouilles sur la nécropole de la gare routière à Cherchell, Algérie (1992-1993) »,  Antiquités africaines 35, p. 77-114.